Thomas Gaucher

Thomas Gaucher

[guitare]

Né à Saumur en 1995, Thomas Gaucher est un guitariste et compositeur français. Après ses études au Conservatoire Jacques Thibault à Bordeaux, Thomas déménage à Paris en 2019 pour étudier au CNSM de Paris, où il obtient son DNSPM en 2021.

Inspiré par des musiciens tels que Gil Evans, Joe Henderson, Belà Bartok, Jim Hall, Bill Frisell… son univers musical tend à être sans frontère, une conséquence de sa curiosité sans limites.

Il est aussi un accompagnateur demandé et joue dans de

nombreuses formatons (Olympic 9net, Kinorama, Strde Monkeys, Tuca...).


Extrait d'une interview donnée à Stéphane Ollivier au Conservatoire National de Musique et de Danse de Paris, le 12 octobre 2022


Thomas Gaucher, vous êtes guitariste, étudiant en 1re année de master dans le département jazz et musiques improvisées, et dans quelques mois va paraître sous votre nom, sur le label Initiale réservé aux étudiant·es du Conservatoire, un disque un peu particulier si l’on considère ses critères habituels de sélection…


Effectivement, contrairement à la règle qui veut que l’on postule en tant qu’étudiant·e à l’enregistrement d’un disque sur ce label en proposant un projet qui passe devant une commission pour être validé, je ne suis pas à l’initiative de cet enregistrement, qui n’est pas passé par tout ce processus. C’est Riccardo del Fra, le directeur du département jazz qui en début d’année est venu me trouver pour me proposer de prendre en charge la conception d’un disque qui aurait la particularité d’à la fois faire entendre ma propre musique mais aussi d’offrir une sorte de vitrine au département en le représentant dans toute sa diversité. J’ai d’abord été très flatté qu’il me choisisse pour ce projet, puis j’ai pris la mesure à la fois de la responsabilité qui m’incombait et de la difficulté de la tâche. Il m’a certifié que dans le cadre de ce cahier des charges j’aurais carte blanche et j’ai accepté la proposition.


Diriez-vous dans ces conditions que c’est un disque de Thomas Gaucher ou un disque du département jazz « supervisé par » Thomas Gaucher ?


Un peu des deux je pense. Sur les neuf titres de l’album six sont de ma composition et, même si je ne suis pas toujours en position de soliste, je joue de la guitare sur tous les morceaux ! Globalement la couleur générale de la musique que l’on entend est significative de mes goûts et de mes options stylistiques, et en ce sens c’est incontestablement mon disque. Mais c’est vrai que j’ai cherché aussi à rendre compte de la richesse et de la diversité des esthétiques et des sensibilités que j’ai pu rencontrer au cours de mes années d’étude au sein de l’institution et que ça a induit des choix tant au niveau des musicien·nes et des configurations orchestrales que du -répertoire.


Comment avez-vous procédé pour articuler ces deux plans, qui peuvent à première vue paraître contradictoires, et donner à entendre cette diversité à travers votre musique ?


Fondamentalement j’ai invité sur le disque les musicien·nes avec qui je me sentais le plus d’affinités et je les ai distribué·es en différents groupes totalement inédits que j’ai conçus chaque fois autour de relations que j’avais envie d’expérimenter plus avant. Par exemple j’avais très envie de jouer avec Désiré L’Honorey au saxophone ténor et Oscar Viret à la trompette. Je les ai réunis le temps d’un concert pour voir comment on fonctionnait ensemble et à partir de là j’ai construit un sextet autour d’eux en réarrangeant un vieux thème qui selon moi leur correspondait bien stylistiquement… Même chose pour Léo Guedy, un saxophoniste avec qui je joue habituellement dans Stride -Monkeys, un orchestre de rue un peu déjanté, et que je voulais absolument sur l’album. Il a apporté une pièce personnelle, Flute Song, qui est très représentative de son univers influencé par les musiques folkloriques d’Europe de l’Est et qui, par ses couleurs, a pour une part orienté l’orchestration du groupe avec Balthazar Bodin au trombone. Il y a comme ça quelques morceaux en quintet et sextet, où je laisse la guitare un peu en retrait pour mettre résolument en avant les qualités des musicien·nes que j’ai invité·es. Dans un esprit voisin, et toujours pour refléter les identités musicales multiples qui font la richesse des différentes promotions que j’ai introduites dans l’aventure, j’ai commandé une pièce à l’Olympic Nonet, qui est un orchestre déjà constitué, fondé et dirigé par Zacchary Leblond et Victor Maisonneuve. C’est un groupe auquel je collabore et pour lequel j’ai déjà écrit de nombreuses pièces et arrangements ces dernières années. J’adore la façon dont Zacchary et Victor composent. Pour moi, nos univers sont totalement complémentaires. C’est ce qui fait la force de notre groupe et partant, de ce disque.


On voit bien en quoi le disque peut refléter la vitalité et l’éclectisme du département jazz, mais en quoi est-il à votre image ?


Il me ressemble parce ce que c’est un disque de guitariste mais aussi de compositeur et qu’à travers les formules orchestrales très variées que j’ai mises à ma disposition, qui vont du trio au nonet, j’ai pu faire une sorte de tour d’horizon de mes désirs de musique. Je suis à un moment de mon parcours où je me cherche encore et chaque morceau reflète un peu une direction dans laquelle je pourrais aller. On y trouve des ambiances très folk comme Kind People Blues qui s’inspire de la musique de Jimmy Giuffre mais aussi des morceaux beaucoup plus modernes ancrés dans le jazz du XXIe siècle, qui lorgnent du côté d’Ambrose Akinmusire ou de Kurt Rosenwinkel… Même chose en matière d’orchestration, où l’éventail de mes influences, qui va de Slide Hampton à Wynton Marsalis, est plus large encore… Je me reconnais dans cet éclectisme qui à mon avis donne une image assez précise de ce que je suis aujourd’hui.


Ce sont en effet des références qui puisent dans tous les courants de l’histoire du jazz…


C’est obligatoire à mon avis, pour qui désire jouer du jazz aujourd’hui, de prendre en compte ce qui s’est joué dans le passé. C’est une musique qui n’a cessé d’évoluer en relisant son histoire de façon dynamique et c’est à notre tour de faire ce travail pour trouver notre voix.


Avez-vous eu votre mot à dire en matière de production au moment de l’enregistrement ?


Pas vraiment. Je pense qu’il ne faut pas oublier la dimension pédagogique d’un enregistrement de ce genre. Il s’agit avant tout de nous mettre pour la première fois en situation de fabriquer un disque. Mon rôle a principalement consisté à organiser les séances d’un point de vue logistique durant les cinq jours d’enregistrements dont on a bénéficié. D’un point de vue artistique, je n’ai pas eu de rôle précis dans la conception du son. Le disque a été réalisé par le service audiovisuel du CNSMDP et le département FSMS (formation supérieure des métiers du son). -Virginie Evennou a été d’une aide précieuse pour coordonner les répétitions et l’enregistrement et Jean-Christophe -Meissonier, l’ingénieur du son référent, a assumé tous les choix en matière de prise de son, ce qui m’a permis de me concentrer à 100 % sur la musique.


Un disque c’est aussi une dramaturgie. Qui a choisi l’ordre des morceaux ?


C’est moi, mais j’ai aussi suivi les conseils de quelques musicien·nes à qui j’ai demandé leur avis. Jusqu’au bout l’idée d’un projet collectif a prévalu dans la confection de ce disque.


Aujourd’hui que la musique s’écoute principalement sur des plateformes ou sur YouTube, qu’est-ce que peut bien signifier de faire un disque pour des gens de votre génération ?


Bonne question ! Je ne parlerai pas au nom de ma génération car je pense qu’on a tous des façons différentes d’écouter de la musique et de considérer l’objet disque. Personnellement j’aime toujours écouter un disque dans sa totalité en suivant l’ordre des morceaux choisi par l’artiste, même si je dois reconnaître avoir parfois du mal à rester concentré à l’époque du zapping et du streaming généralisé. Mais disons que pour moi un disque demeure une borne dans le parcours d’un artiste. Et c’est d’autant plus vrai pour un premier disque qui est une sorte d’acte de naissance. Ce disque je le considère vraiment comme tel. On y trouve certes des morceaux qui mettent au propre des choses que je travaille depuis un certain temps mais d’autres comme La Lanterne, Le Moulin de Gueffard ou Istanbul Rockets projettent clairement ma musique dans des directions que j’aimerais prendre plus résolument dans un proche avenir. Ce sont des morceaux en trio – la formule que je préfère et dans laquelle j’ai l’habitude d’évoluer. C’est probablement dans le disque l’espace où je suis le plus pleinement moi-même.


Propos recueillis par Stéphane Ollivier


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